#ChallengeAZ : D comme D’où vient la supercherie..

L. de MAGNY aurait donc menti !

Les parents de Jean PIERD’HOUY ne sont pas ceux que le généalogiste spécialisé en héraldique et en noblesse indiquait.

Mais alors pourquoi cette fausse ascendance? Erreur du généalogiste ou erreur commise bien avant lui et reprise sans vérifications? Il est vrai que nombreux sont les faux nobles qui se débrouillaient pour faire partie de cette catégorie spécifique et privilégiée de la population française, mais en vouloir en être en 1886…. pourquoi? Par ailleurs, après quelques recherches sur notre L. de MAGNY, il s’avère que ce généalogiste était peu regardant dans l’établissement de ses généalogies et que ses nobiliaires regorgent d’ascendances fantaisistes… Mais alors à qui cela pouvait-il bien profiter?

Première page du nobiliaire concernant la famille PIERDHOUY par L. De MAGNY

Si L. de MAGNY nous parle de l’ascendance (fausse donc) de Jean PIERD’HOUY pour le rattacher à la noblesse, il nous parle également de sa descendance: c’est précisément là que ça devient intéressant. En effet, sur ce versant de la généalogie, de MAGNY a vu juste et les informations semblent vraies. Il a cependant porté davantage son attention et s’est focalisé sur une branche descendante de Jean pour effectuer ses recherches. Il s’agit de la branche de son arrière petit fils, Ferdinand Léopold, parti vivre à Milan, en Italie. L’intitulé du nobiliaire de la famille PIERD’HOUY par L. De MAGNY était clair et nous donnait déjà un indice sur l’orientation des recherches du généalogiste: « Paris, Champagne et Italie ».

(en jaune, mes ancêtres)

Ferdinand Léopold est né en 1767 à Châlons-sur-Marne. Comme son père, il se lance très vite dans les affaires et devient négociant, ce qui le conduit à Milan où il va s’établir dans les années 1810. Là bas, il épouse une jeune italienne avec laquelle il va avoir au moins un enfant, Léopold Ferdinand, né en 1817.

Lorsqu’on part à la recherche la famille PIERD’HOUY en Italie – et sur internet- on ne peut passer à côté du caveau familial situé au cimetière de Milan. Imposant et dans un style plus qu’original, le mausolée a été construit en 1902 par un sculpteur italien. On arrive toujours aux mêmes termes et qualificatifs concernant la famille PIERD’HOUY et plus précisément Léopold Ferdinand et son fils Auguste: « noble PIERD’HOUY ». Et si l’usurpation de titre venait de là? Et si, de part leur statut en Italie et leur importance, les PIERD’HOUY d’Italie, et en particulier Léopold Ferdinand, avaient fait appel à L. de MAGNY pour figurer dans un nobiliaire français?

L’imposant tombeau des PIERD’HOUY (source: Lombardi Beni Culturali)

Mais alors qui étaient les PIERD’HOUY d’Italie? Reprenons au moment de la naissance de Léopold Ferdinand à Milan en 1817. Son acte a été retranscrit à la mairie de Châlons-sur-Marne neuf ans plus tard, en 1826. Au moment de la naissance de son fils, Ferdinand Léopold vit au 1233 via Bigli en plein centre de Milan où il est négociant en vins étrangers et où il tient sa boutique. Le nobiliaire indique qu’il y est décédé Ferdinand Léopold le 14 octobre 1845. Léopold Ferdinand épouse le 4 mai 1850 – toujours d’après le nobiliaire – Félicie MERINI, une jeune italienne de 17 ans. Le couple donne naissance à Auguste le 16 aout 1851 (contrairement à ce que L. de MAGNY indique dans son ouvrage en évoquant l’année 1861). Après ces quelques renseignements pour la plupart donnés par le nobiliaire de 1866, il faut poursuivre les recherches pour savoir ce qu’est devenue la famille PIERD’HOUY après cette date.

Léopold PIERD’HOUY, portrait posthume par G. Beltrami, 1889

Tout comme son père, Léopold est négociant à Milan, et, après avoir repris quelques temps la boutique de son père, il devient plus précisément commissionnaire en soie. Pour rappel, la ville de Milan est déjà à cette époque un des grands carrefours du textile et de l’habillement. C’est probablement grâce à son métier que Léopold va rencontrer Félicité MERINI, fille d’un marchand de tissus. Le couple va vivre à Milan, au 27 via Durini, où nait donc leur unique fils Auguste en 1851.

En 1872, alors qu’il est présenté comme appartenant à la noblesse, Léopold achète une loge à la Scalla de Milan: la loge n°9, 4ème ordre. Leopold devient alors palchettisti (terme italien que l’on pourrait traduire par boxeur, dans le sens littéral qui signifie « posséder un box »), à une époque où le théâtre ne compte pas encore d’abonnés ou de simples visiteurs mais des propriétaires de loges, des notables de la société milanaise de l’époque. Cette loge, il l’acquiert auprès d’Adélaide Superti, danseuse à la Scala. Il en sera propriétaire jusqu’en 1888, année de sa mort. L’institut du Théâtre et l’Institut Philarmonique lui succéderont dans l’occupation de la loge, probablement par les legs testamentaire qui ont pris effet à son décès. Ces deux institutions en seront expropriées – comme tous les propriétaires des loges de la Scala – par la mairie en 1920.

La Scala de Milan aujourd’hui

Leopold va faire parti des bienfaiteurs milanais du XIXe siècle. Il va être membre du patronage des anciens prisonniers et inscrit sur la liste des bienfaiteurs du Grand Hôpital Maggiore où exercera plus tard son fils Auguste. Il sera par ailleurs nommé chevalier de l’Ordre de Saint-Maurice et Lazare (Ordine Mauriziano) Sa femme, Félicité, va quant à elle oeuvrer pour les pauvres et les malades. C’est probablement par ce biais là, en plus de sa profession de un riche commerçant, que Leopold va assoir son autorité parmi la noblesse milanaise du XIXe siècle.

Ospedal Maggiore de Milan (source: Museum of the Mind)

Quant à Auguste, il va avoir eu une certaine reconnaissance dans le milieu de la médecine. Diplômé du Collège Ghislieri de Pavie en 1875, il va voyager en Europe et plus particulièrement en Autriche et en Bavière, où il se forme auprès de grands chirurgiens. En 1879, il est nommé pour officier sur un navire en partance pour Bombay. Grâce à ses voyages et son important travail de recherche, il devient chirurgien ophtalmologue renommé et donateur du Grand Hôpital Maggiore dans lequel il exerce lorsqu’il est de retour à Milan. Il va donner de nombreuses conférences et rédiger de nombreux articles de recherches. Il participera également aux Congrès de Milan dans les années 1880 – Congrès qui vont donner lieu à plusieurs publications. Enfin, il sera nommé chevalier de la couronne d’Italie avant de mourir prématurément du typhus, suite à un voyage, en 1886, à l’âge de seulement 34 ans.

Auguste PIERDHOUY par G. Beltrami

Son père Léopold va suivre son fils dans la tombe deux ans plus tard. En effet, il ne se remettra jamais de la mort de son fils: il décède dans sa maison de campagne où il se retire avec sa femme chaque été depuis plusieurs années, à Monza. Félicité qui se retrouve veuve et seule à 55 ans, va continuer l’oeuvre de bienfaisance de son mari et faire des dons à diverses institutions de Monza et de Milan. Elle décède en 1901 à Pallanza, et par ses dispositions testamentaires elle fait de Cesare Campi, un ami de la famille, son héritier universel. Il aura pour obligation de faire don de 150 000 lires à l’Hôpital Maggiore, et il vendra les bijoux de la veuve PIERD’HOUY pour en verser les bénéfices aux plus pauvres.

Félicité MERINI, par G. Beltrami

Bienfaiteurs de l’hôpital, les trois membres de la famille PIERD’HOUY de Milan ont leurs portraits et bustes sculptés dans la galerie de l’hôpital de Milan ainsi que dans celle de l’hôpital Umberto 1 (aujourd’hui San Gerardo) de Monza, dont les noms sont toujours précédés de la particule « noble ». Ils restent bien connus des Milanais et encore aujourd’hui, les occurrences sur internet à leur propos sont nombreuses.

Finalement, je pense que ce sont les PIERD’HOUY d’Italie ont fait appel à notre cher L. de MAGNY, qui, peu regardant, a soit établi une généalogie toute faite, ou soit pris ce que lui proposait Léopold. Quoiqu’il en soit, j’ai grâce à eux pu me transporter dans le Milan du XIXe siècle (et travailler de façon acharnée sur cette famille).

Aujourd’hui, il n’y a plus de PIERD’HOUY en Italie (Auguste n’a pas laissé de postérité). Pour le reste, et en ce qui concerne la véritable ascendance des PIERD’HOUY, il n’y a point de PIRETOUY originaires de Paris dans mon arbre, non: les parents de Jean PIERD’HOUY (v. 1643-1846), mon ancêtre point de départ de cette enquête et à qui L. De MAGNY prête une ascendance issue d’une noble lignée, sont Charles Pierre PIERD’HOUY (dont l’orthographe initiale est très probablement PIERRE DOUIS), marchand, et Marguerite GROLET, originaire de Troyes. En bref, rien de très noble dans tout ça! En revanche, il est indéniable que les certains des descendants de Jean aient occupé des fonctions plutôt nobles… La suite aux prochains épisodes !

Sources:
- Ricordati di me. Storia d'amore su Tela (da I Tesori della Ca' Granda)
- Il quadro del mese, Daniele Cassinelli, dans le Journal de la Fondation Ospedale Maggiore Policlinico, décembre 2008
- Gazzetta Ufficiale del Regno d'Italia del 1886-10-29 n. 25
- La casa da nobile et sa valeur: le cas de Milan (XVIe-XIXe siècle), Michela Barbot, dans Revue belge de Philologie et d'Histoire , 2016

4 réflexions sur “#ChallengeAZ : D comme D’où vient la supercherie..

  1. Christelle 4 novembre 2023 / 15 h 05 min

    Quelles vies ! Avec des boxes à la Scalla et leurs portraits à l’hôpital, c’est sûr qu’une ascendance noble s’imposait ! 🙃

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  2. brevesdantan 5 novembre 2023 / 7 h 11 min

    Un peu la même chose avec les Butel de Guadeloupe de ma lettre B😉

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  3. Renaud BG 5 novembre 2023 / 17 h 42 min

    Pour la supercherie, il faut peut-être demander à M*** Chey*** de Bea**** :p

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